Torpeur puérile
Il y a un espace étroit
Entre maîtrise et folie,
Celui où passe la lumière,
C'est là que l'on se sent humain.
Il avait oublié l'envie,
Et était couché sur le sol,
Au raz du carrelage, ébloui,
Cerveau perdu dans l'entresol.
Sur la table un verre de vin
Le narguait comme le vautour.
Il respirait, il respirait en vain,
Il savait que demain c'est son tour.
Humain, il a été humain,
Perdu, perclu, repu,
Trop frêle mais dedans sa main
Le temps coule comme une glue.
Même le soleil est fatigué
De ses jérémiades stériles
Et il respire sans arrêter,
A petits coups, torpeur puérile.
J'ai oublié
J'ai oublié le nom de mon bon camarade,
Dans un brouillard épais, la forêt du passé,
Pleine de chemins noirs, de craintes ressassées,
Amnésie bouclier, solitude parade.
J'ai oublié le oui et les vœux prononcés,
Dans une église en bois, une vague jeunesse,
Car mes enfants grandis font mûrir la vieillesse.
J'ai changé de soleil, continué d'avancer.
J'ai oublié l'habit que portait autrefois
Mon courage au matin pour aller travailler.
J'ai oublié de tout... et l'ombre où je prends froid
M'interroge et me laisse silencieux à veiller.
Pourtant rien n'a changé, pas de brume magique.
Je reste comme j'étais, un rêveur tragique.
De glaise et de temps
Attaché à la terre, sanglé à ma prison,
Tout barbouillé de glaise, assis en majesté,
Je pose face au vent ma ramure lestée,
J'impose face au temps mes cornes de bison.
Des ocres argileuses, des boues dans la marée,
Emplissent les poumons de mes cages racines,
Et roche, mon amie, tes failles assassines,
Je les couvre d'amour, à ton corps amarré.
Au plus profond du sol je serpente et j'embrasse
Le destin du granit, silencieuse force.
A travers les orages et cachée sous l'écorce,
Bien arrimée, serrée, sans mémoire et sans trace,
L'étincelle d'un dieu explore le Pesant.
Calme toi... et ressens... que l'Être est apaisant...
Reflet nacré
J'irrigue et je blanchis les terres endormies,
Je glisse dans la roche et j'enlace le tronc
De ma douche suave je viens laver l'affront
De vos énormités de géantes fourmis.
Harmonieuse nappée, miroir des étoiles,
Je suis le sang argent qui nourrit et apaise.
Caché sous des remous quelque dragon de braise
Fomente des envies de déchirer le voile.
C'est l'hiver et de froid tout s'arrête sans bruit.
L'étendue est mon nom, l'absolu ma mission.
D'étranges pourritures flatulent sans raison...
Quelque-chose de grand y gonfle dans la nuit.
Je suis la symphonie de la Terre en la Mer,
Faible reflet nacré d'un ciel plein de lumière.
Extase du soir
Courir après le doux, le caressant baiser,
Du dernier des rayons d'un soleil rouge et pâle
Et voir monter aux yeux les larmes apaisées
D'une extase du soir, d'un miracle banal...
Survoler l'étendue du fleuve qui s'étale,
A travers l'horizon, dans les berges boisées,
Sur l'aile du cormoran, solitaire, animal,
Et aller vers le noir sans personne à croiser.
Rêver la solitude, le silence et la nuit !
Être si bien sans rien, sans un but, sans un bruit.
Puis vouloir de la foule partager l'harmonie,
Les lumières de la fête, l'amicale magie...
Je suis empli de tout, trop-plein jamais dosé,
Trop fou et trop léger pour pouvoir me poser.